Atypique, moi ?

Signes distinctifs

Il n’existe pas de portrait-type, mais est souvent citée cette malice dans les yeux, ce regard pétillant qui en dit bien plus long que les mots (qui peuvent très bien ne pas être prononcés). Esthètes dans l’âme, ils ont besoin de s’entourer de beau, de créer un univers doux, comme un cocon. L’intuition guide leurs actions et réflexions, à moins de s’en être coupés, de ne pas l’écouter et de privilégier la rationalité, en réponse à un environnement qui a renié leur hypersensibilité, voire leur hypersensorialité – à savoir tant les émotions que les sensations.

De grands incompris

Les 6 sens perpétuellement en éveil, pour le meilleur comme pour le pire, tout le paradoxe peut résider dans le fait que pour se protéger de leur (hyper)perméabilité au monde, certains vont endosser une carapace, une armure et paraitre insensibles. C’est un peu les cimes enneigées qui cachent, à l’intérieur, le volcan en activité. Leur éducation peut les y avoir amenés, ayant dû s’endurcir pour affronter le monde (présenté comme hostile ou en réaction à leur propre milieu, qui peut mal interpréter ce qu’il ne comprend pas, en prenant ces réactions pour une exagération, voire un mensonge, prononçant des phrases fatidiques telles que « Arrête avec tes larmes de crocodile »). Or, le « HP » a un besoin vital d’authenticité.

Et comme le dit si bien Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas ». Il ne le fait pas exprès, c’est pratiquement « plus fort que lui » et lui reprocher sa prétendue sensiblerie* ne lui est d’aucune utilité.

Je plaide, bien au contraire, pour un éloge du sensible, tout comme le titre éponyme du livre d’Elisabeth Barillé qui m’a autrefois appelée à lui, sensibilité que je valorise au sein de mes ateliers.

Appellations diverses & variées

Il est parfois difficile de s’y retrouver face à la pléthore de termes utilisés. Pourquoi n’ont-ils pas de nom bien arrêté ? Toute étiquette est par définition limitante, mais comment, en même temps, ne pas nommer ? S’il n’y a pas d’appellation satisfaisante, c’est parce qu’il ne s’agit justement pas d’individus dotés d’une faculté qui les placerait à part. C’est une trajectoire dans une structure plus complexe que tout le monde peut emprunter à tel ou tel moment car nul n’est jamais constamment et en tous points « surdoué ».

Et puis, chaque terme apporte sa contribution à la définition de ce public, à la fois éclairante et limitante.

« Surdoué » évoque le « surhomme » de Nietzsche, souvent connoté puisque lié à la notion de supériorité et donc d’élitisme.

« Prodige » ou « génie » sous-entend une réussite et une reconnaissance exceptionnelles.

« Haut potentiel », c’est la version euphémistique de « surdoué » qui renvoie aussi à une échelle hiérarchique, même si « potentiel » est plus ouvert que « doué » et que l’on ne statue pas sur un don mais que l’on constate des performances possibles, non uniquement cognitives. A noter que le HP, pour les intimes, est aussi l’abréviation qui fait référence à l’Hôpital Psychiatrique… ce qui, ironie du sort, n’est pas sans rappeler les nombreuses erreurs diagnostiques qui les y ont parfois conduits ou les consultations à foison leur attribuant tous les maux possibles.

« Précoce » est faux car il occulte une partie du phénomène et laisse, à tort, penser qu’il n’est question que d’une avance sur les autres (rattrapée à un moment donné). Nous retrouvons également les « sentinelles » dans cette catégorie, car ils perçoivent beaucoup bien avant l’heure.

« Zèbre », c’est le terme qu’utilise Jeanne Siaud-Facchin pour désigner les enfants surdoués, puisqu’aucun zèbre n’a les mêmes rayures que ses congénères, tout en ayant beaucoup de points communs avec eux. Mais il n’est pas neutre car il introduit l’idée d’espèces différentes et c’est un animal difficile à apprivoiser.

Ou encore les « philo-cognitifs », qui aiment, investissent énormément le domaine de la pensée, de l’intelligence et ce, autrement.

Enfin, les APIE – Atypique personne dans l’intelligence et l’émotion – qui peut aussi se comprendre comme « Happy people » en anglais, traduisant également leur recherche du bonheur.

Je retiendrai donc le terme « atypiques », ce qui rejoint ma propre appellation « sensiblement différents », mettant à la fois l’accent sur leur caractère unique et leur quête, vitale, de sens.

Ces assoiffés d’Azur

comme les appelait Aristote

Essai de définition – Grandes caractéristiques

Selon Carlos Tinoco, lui-même « HP », auteur notamment de « Intelligents, trop intelligents – Les « surdoués » : de l’autre côté du miroir », cela tiendrait davantage de la différence (une pensée en arborescence, l’intuition, le fait d’explorer les similarités et de laisser libre cours aux évocations) que de capacités cognitives (plus rapide, performant, précoce). La personne atypique serait dotée d’intelligences multiples – l’intelligence existentielle (qui ouvre aux questions métaphysiques), naturaliste, kinesthésique, verbo-linguistique, logico-mathématique, visuo-spatiale, musicale ainsi qu’intra et interpersonnelle.

Dans le monde du 7ème art, le film « Divergente » illustre assez clairement ce que peut ressentir une personne multi-potentielle : à la fois audacieuse (plongée dans l’action), érudite (assoiffée de connaissances), sincère (ayant le sens de la justice), altruiste (humble, capable d’abnégation) et fraternelle (centrée sur l’harmonie, la paix et la recherche ainsi que le partage d’affection).

Pourvue d’une sensibilité à fleur de peau, d’une lucidité et d’un ressenti exceptionnels ainsi que d’une empathie exacerbée, le besoin de construire une relation positive avec autrui est une puissante source de motivation. L’anxiété souvent relevée est une anxiété mobilisatrice, ne freinant pas l’évolution mais étant plutôt un moteur dans la recherche de réponses. On peut très facilement comprendre comment une personne atypique peut perdre des années à passer d’un thérapeute à l’autre, les uns et les autres ne cherchant qu’à traiter des symptômes non révélateurs de sa recherche intérieure.

A noter : on peut être « hypersensible » et pas « HP », comme on peut être « HP » et tout aussi hyposensible que le reste de la population. Bon, les chiffres sont toujours relatifs, on est bien d’accord… Mais pour avoir un ordre d’idées, si l’on se réfère à Béatrice Millêtre, dans son « Petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués », en Europe comme aux États-Unis, 2% de la population est HP et 20 à 25% est hypersensible.

Rencontre du troisième type

Il fut une époque où adorant les animaux, j’avais développé une passion pour les poissons tropicaux. A l’heure où je n’avais pas encore conscience du caractère insensé de la possession en un espace restreint de ces êtres magnifiquement fragiles, j’avais entre autres un Combattant, que je trouvais fascinant.

Originaire d’Asie du Sud-Est, où j’allais vivre bien plus tard, un an durant, le mâle, qui est connu pour avoir des nageoires telles de splendides voiles, a pour nom scientifique « Betta Splendens ». Très vite, j’ai trouvé cela plutôt étrange cette association de mots… Un splendide Bêta… Comme si les deux réalités co-existaient… Il me fait aujourd’hui penser à cette tendance chez les atypiques à se trouver souvent bien plus bêtes que le monde entier… Un joli syndrome, celui de l’imposteur

Plus on en sait, plus on est confrontés à son ignorance et ils en ont cruellement conscience. Le doute est leur lot quotidien, ils se posent 1001 questions et ont donc plus de difficultés à prendre des décisions. Les plus doués tendent même à sous-estimer leurs capacités, tout en pensant que les autres sont plus doués qu’ils ne le sont. Ce qui va totalement à l’encontre d’un autre phénomène très courant chez les « normo-pensants » : l’effet Dunning Kruger (« ces incompétents qui s’ignorent », car incapables de s’auto-évaluer, surestimant leurs capacités). Revient sans cesse la question de leur illégitimité car ils peuvent être victimes de leur hyper – voire extrême – lucidité et ne jamais être véritablement fiers de leurs réalisations (même si tout le monde les félicite), ayant l’impression d’avoir eu de la chance, donc peu de mérite.
Par contre, dès qu’une difficulté les met en échec, ils pensent directement que c’est lié à leurs capacités. En somme, comme l’exprime si bien Georges Roomey dans « Le rêve éveillé libre » :

J’ai connu l’enfer des jours où l’on se fait plus petit que soi

dans l’espérance toujours déçue

de faire cesser la tyrannie du regard des autres.

Et en parlant de syndrome et de drôles d’oiseaux, il y a aussi celui de L’Albatros, vous savez, si bien décrit par Baudelaire : l’atypique se sent en effet intimement capable de voler, mais « échoué sur le sol (…), ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Pour en revenir à notre combattant, solitaire et relativement timide, il est connu pour être territorial et a tendance à vivre en couple ou en petit groupe. Très observateur et très réceptif à son environnement, il a besoin d’être stimulé pour ne pas s’ennuyer. Je ne sais pas vous, mais moi, ça me rappelle vaguement quelqu’un…

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